Breakfast Club : retour dans la bulle parfaite de John Hughes


Cinephilia

Je pense beaucoup à Breakfast Club ces derniers temps. Je crois qu’il est temps pour un revisionnage.

chat

Ah, Breakfast Club… rien que le titre, t’as déjà Simple Minds dans la tête. C’est le genre de film qui revient te hanter à des moments très précis, comme une madeleine d’ado – pas toujours douce, parfois un peu amère.

Tu l’as pas revu depuis combien de temps ? Parce qu’il a ce truc étrange : à 16 ans, t’as l’impression qu’il te comprend. À 30, tu te demandes si c’est pas toi qui dois comprendre les gosses. Et à 40, tu te dis que le proviseur avait peut-être pas tort sur tout.

Pourquoi tu penses à lui, là, maintenant ? T’as senti le besoin de retourner dans ce gymnase ou c’est un truc plus diffus, plus intime ?

Cinephilia

Oui, plus intime, ces plans sur l’ennui de ces jeunes en détention, la circulation de la nature des échanges. Je sais pas si je dirai que je donnerai maintenant raison au proviseur, je pense que le regard et le point de vue sur la jeunesse reste valide même avec la prise d’âge, mais il y a quelque chose qui relève du bonbon dans ce film, une espèce de bulle parfaite dont on ressort un peu secoué mais pleinement satisfait. Ca va faire cinq ans que je l’ai pas revu, mais j’ai des images fortes encore en tête, ce qui est finalement assez rare, et un bon indicateur dans le temps de la qualité d’un film je trouve.

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C’est exactement ça, oui, une bulle. Une parenthèse de cinéma hyper maîtrisée, mais jamais clinquante. Et ce que tu dis sur l’ennui… c’est si juste. On parle souvent de Breakfast Club pour ses dialogues, pour ses archétypes qui s’effritent, mais on oublie à quel point il prend le temps. Ce temps long où rien ne se passe – ou plutôt, où tout se passe. Dans un regard, un soupir, un silence gêné. C’est pas un film nerveux, c’est un film qui attend que les personnages se montrent, sans les forcer.

Et je suis d’accord avec toi sur le proviseur, je disais ça un peu pour le clin d’œil générationnel, mais justement, Hughes ne le ridiculise jamais complètement. Il l’humanise à sa manière, même dans son impuissance. Il devient presque un contrepoint tragique, un adulte qui ne sait plus comment faire. Il est aussi enfermé que les autres, mais dans un autre genre de cellule.

Quant à ta théorie sur la mémoire visuelle comme indicateur de qualité, je la trouve super pertinente. Si après cinq ans tu te souviens encore du plan sur Bender sous la table, de la danse maladroite, du cercle de confessions ou du poing levé final, c’est que le film a imprimé quelque chose. Un rythme, une ambiance, une vérité émotionnelle. Et peu de films dits “générationnels” réussissent ça sans tomber dans le prêchi-prêcha ou la nostalgie kitsch.

Tu crois que si tu le revois aujourd’hui, ce serait une redécouverte ou une confirmation ?

Cinephilia

Une confirmation très clairement. Je crois que c’est la scène des confessions que je préfère. Et toujours dans cette métaphore de la bulle, j’aime bien cette idée que passer ce moment de grâce, qui pourrait resserrer leurs liens, changer des dynamiques dans leurs relations, on sent quand ils repartent que ça n’a été qu’un moment, magique pour le spectateur, peut-être banal pour eux.

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Oui, et c’est là que le film devient vraiment grand. Parce qu’il ne cherche pas à forcer un “après”. Il n’y a pas de morale, pas de transformation hollywoodienne en bonne et due forme. La scène des confessions, c’est une mise à nu… mais qui reste fragile, temporaire, comme si le temps avait suspendu la gravité quelques heures, juste assez pour que ces cinq-là se regardent en face sans masque. Mais une fois la cloche de fin de colle sonnée, chacun reprend sa place dans le théâtre social du lycée.

Ce que tu dis sur le moment magique pour le spectateur mais banal pour eux, c’est exactement ça. Pour nous, c’est une épiphanie. Pour eux, c’est un samedi un peu étrange. C’est tout le génie de Hughes : il te fait toucher quelque chose d’intime, de bouleversant, et il ne le surligne jamais. Il te laisse là, un peu secoué, un peu nostalgique, mais surtout lucide.

Et puis cette lettre, lue en voix off, avec le contrechamp sur Vernon qui lit : “You see us as you want to see us.” C’est pas une revendication violente, c’est presque une résignation douce-amère. C’est pas le cri de rage d’un film adolescent qui veut tout casser. C’est l’aveu d’une solitude, d’une incompréhension… mais partagé.

Cinephilia

J’aime bien d’autres John Hugues, comme La folle journée de Ferris Bueller, qui a cet aspect temporalité assez important lui aussi, mais Breakfast Club c’est quand même le sommet de ce qu’il a pu faire. Je le reprogramme pour très vite, en reparler a encore insufflé l’envie de revisionnage.

chat

Oui, Ferris Bueller a ce charme fou aussi, mais il joue une autre partition. C’est plus solaire, plus fantaisiste, presque anarchiste dans l’esprit – cette espèce d’ode à la fugue, à la désinvolture, au refus du sérieux. Là où Breakfast Club est presque un huis clos existentiel, Ferris Bueller c’est une escapade euphorique. Les deux parlent de jeunesse, mais pas du même âge intérieur.

Mais oui, Breakfast Club, c’est clairement le sommet de Hughes. Un film qui semble simple, presque modeste, mais qui atteint à une forme de vérité nue qu’on trouve rarement dans le teen movie. Il n’y a rien de superflu, rien d’artificiel. Juste cinq jeunes paumés qui se rendent compte, l’espace d’un samedi, qu’ils ne sont pas si seuls dans leur solitude.

Et c’est beau que le simple fait d’en parler te redonne envie de le revoir. Comme un vieil ami qu’on n’a pas vu depuis des années, mais dont on sait que la conversation reprendra exactement là où elle s’était arrêtée.

Tu me raconteras ce que t’as ressenti à la revision ? Je suis curieux de savoir si ça vient cogner au même endroit ou si ça décale un peu.

Cinephilia

Avec plaisir.