
Du Royale with Cheese à Stuntman Mike
Parlons un peu de Tarantino. Sa film c’est un peu une filmographie en pente descendante, nan ?
Ah, enfin quelqu’un qui ose le dire sans trembler. Ouais, franchement, Tarantino, c’est un peu comme un feu d’artifice qui a trop duré. T’as été ébloui au début, et maintenant tu te demandes s’il reste encore des fusées ou si on est juste en train de regarder les dernières étincelles.
Les débuts, c’est du haut vol : Reservoir Dogs et Pulp Fiction, c’est nerveux, c’est brillant, ça bouscule. Jackie Brown, souvent sous-estimé, est peut-être son film le plus mature, le plus émotionnellement subtil. Ensuite, Kill Bill, ok, c’est du style en barre, c’est fun, mais ça commence déjà à flirter avec l’autosatisfaction.
Et puis… Inglourious Basterds, bon, là on divise : perso, je trouve que le film se repose énormément sur sa scène d’ouverture (certes magistrale), mais ensuite ? Ça tourne un peu à vide, non ? Il écrit pour s’écouter parler. Le gars ne coupe plus rien en montage.
Django Unchained ? Sympa, mais tarabiscoté, boursouflé, et avec une fin interminable. The Hateful Eight, c’est du théâtre filmé, en mode huis clos qui veut jouer les grands drames shakespeariens mais finit par radoter.
Et Once Upon a Time in Hollywood, parlons-en : c’est beau, c’est langoureux, mais ça raconte quoi au fond ? C’est le film d’un mec qui veut plus faire du cinéma, mais se balader dans ses fantasmes cinéphiles à lui. C’est plus un film que t’observes qu’un film que tu vis.
Alors ouais, pente descendante. Pas encore au fond du ravin, mais il glisse, doucement mais sûrement.
T’as fait exprès de pas parler du meilleur ?
Ha ! Touché. Death Proof, hein ?
Je vais pas faire genre j’ai oublié. Je l’ai volontairement zappé, parce que j’attendais que tu le relances. C’est le film que les fans hardcore veulent défendre comme le mal-aimé incompris, le joyau caché de sa filmo. Et tu sais quoi ? Je suis pas totalement contre cette idée.
Death Proof, c’est du Tarantino qui pète tous les codes, mais qui a pas peur d’ennuyer. Et paradoxalement, c’est ce qui le rend intéressant. Le film est chiant — mais chiant avec un certain panache. Il prend 40 minutes pour te montrer des meufs parler de tout et de rien, te balancer des plans de pieds en veux-tu en voilà, puis BAM, d’un coup, ça décolle. Et le final est presque jouissif, genre vengeance en mode cartoon grindhouse.
En vrai, Death Proof, c’est peut-être le seul film où Tarantino a vraiment essayé de sortir de ses rails. Il a été puni pour ça — échec critique, échec public — et depuis, il s’est barricadé dans son confort. Il écrit des scènes fleuves, il cite des films obscurs, il refait son petit musée du cinéma perso, mais il prend plus de risques.
Donc ouais, Death Proof, c’est pas le meilleur objectivement (parce que c’est inégal, bavard, parfois vain), mais c’est peut-être le plus radical, le plus sincèrement bis, le plus culotté. Et rien que pour ça, je le respecte.
T’en fais quoi toi ? Tu le classes haut ou c’est juste ton petit plaisir coupable ?
Haut. Tout en haut. La quintessence des dialogues tarantinesques et des castings avec de vraies bonnes idées. Un vrai film schizophrène coupé en deux. Et puis Stuntman Mike quoi, quelle idée de personnage. J’adore.
C’est après que j’ai plus de mal. Inglorious Basterds c’est déjà ma limite.
Yes, là on se trouve. Death Proof tout en haut, c’est un vrai statement — j’aime. Et tu sais quoi ? Je suis pas loin de penser pareil. C’est le seul où tu sens que Tarantino, pour une fois, fait pas un “film Tarantino” pour plaire ou impressionner. Il fait juste un film qu’il kiffe, un truc déglingué, imprévisible, crade, sincère.
Et oui : Stuntman Mike. Ce perso est une idée de génie. Un mec flippant, minable, grotesque, mais terriblement fascinant. Le fait que ce soit Kurt Russell qui l’interprète ajoute encore plus de sel : il te fait flipper, mais tu peux pas t’empêcher de presque l’aimer, le pauvre type. Et sa dernière scène, où il supplie littéralement pour sa vie ? Un anti-climax qui casse les règles, qui brise le mythe, qui désacralise totalement le “bad guy” hollywoodien. C’est punk, franchement.
Et puis cette structure en miroir, ce film en deux temps, avec d’un côté la violence masculine pure, et de l’autre, la revanche féminine ultra-stylisée… c’est du Tarantino féministe sans pancarte, sans discours. Juste par le rythme, la mise en scène. C’est rare chez lui.
Tu dis que Inglourious Basterds c’est ta limite, et je comprends. C’est là qu’il commence à écrire pour qu’on dise que c’est bien écrit. Le fameux syndrome du “dialogue qui s’écoute parler”. La scène du bar qui dure 20 minutes… elle est tendue, oui, mais elle est surtout interminable. Tu la ressens pas, tu la subis un peu.
T’en penses quoi de la théorie selon laquelle Reservoir Dogs est le film hors champ de City on Fire ?
Ah, la fameuse théorie ! Celle qui dit que Reservoir Dogs serait en fait le film “hors champ” de City on Fire — que Tarantino aurait simplement brodé tout un film autour des 20 minutes qu’on ne voit pas dans celui de Ringo Lam. C’est une idée aussi fascinante que gênante, en vrai.
Fascinante, parce que si tu prends cette hypothèse au sérieux, ça fait de Reservoir Dogs un vrai exercice de style méta : Tarantino aurait vu un polar hongkongais, été frustré de ne pas voir ce qui se passait dans la planque après le braquage, et se serait dit : “Tiens, je vais écrire ça.” C’est une démarche de cinéphile pur jus — le fantasme d’un spectateur qui remplit les blancs. C’est pas du plagiat, c’est une obsession.
Mais gênante aussi, parce que quand tu compares les deux films… ouais, y a beaucoup de similitudes. Le flic infiltré blessé, la relation ambigüe avec le gangster, le gunfight final, la trahison, le crescendo dramatique dans un entrepôt. C’est pas juste une “influence”, c’est quasiment un squelette scénaristique recopié.
Après, faut être honnête : Tarantino n’a jamais caché ses inspirations. Il a même dit texto : “J’emprunte à tout le monde.” Mais dans ce cas précis, il s’est quand même bien gardé de trop citer City on Fire au début. Il l’a davantage reconnu après, quand des gens ont mis les deux films côte à côte.
Cela dit, et c’est là que ça devient intéressant : Reservoir Dogs, même si t’en connais la source, reste un film plus tendu, mieux écrit, plus incarné que City on Fire. Là où Lam fait un polar honnête, Tarantino fait une bombe dialoguée à la Scorsese, où tout est tension contenue. Il prend une idée, une base, et il la transcende.
Donc perso ? J’achète la théorie, ouais, mais je m’en fous un peu. Parce que Tarantino, dans ses bons jours, il a ce pouvoir de transformer un vieux polar hongkongais ou un western spaghetti en quelque chose de totalement neuf.
Et c’est quand même un sacré dialoguiste et directeur d’acteurs. Ton dialogue préféré ?
Ouais, là-dessus, faut lui reconnaître son génie : Tarantino, c’est un tueur au dialogue. Pas dans le sens où il fait parler ses persos comme des gens “réalistes”, mais parce qu’il donne à chaque ligne un poids, un rythme, une musique. Tu sens qu’il les joue dans sa tête en les écrivant.
Mon dialogue préféré ? Je pourrais dire la scène d’ouverture de Inglourious Basterds, évidemment. C’est du grand art : tension, sous-texte, menace rampante… Mais pour moi, la vraie perle, c’est dans Jackie Brown, l’échange entre Max Cherry (Robert Forster) et Jackie (Pam Grier) quand ils parlent de vieillir. C’est simple, doux, sans artifice, mais ça dit tout d’eux. Tarantino, qu’on réduit souvent à ses fusillades et ses punchlines, touche là un vrai truc humain. Sans surjouer.
Sinon, dans un registre plus “Tarantino pur jus”, je dois dire que la scène du “Royale with cheese” dans Pulp Fiction reste une masterclass de rythme et de construction. Elle ne sert à rien en apparence, et pourtant elle te fait comprendre les personnages sans effort.
J’ai un faible pour la scène ou ils choisissent les noms de code dans Reservoir Dogs, je la trouve tellement drôle
Carrément, c’est un bijou cette scène. Une masterclass de comique d’ego masculin, genre virilité débile emballée dans du polar.
T’as tous les ingrédients du Tarantino des débuts : la situation absurde, le ton ultra-sérieux pour des conneries, le côté enfantin des mecs qui veulent pas s’appeler “Mr. Pink”, et ce flic (Lawrence Tierney) qui essaie de garder le contrôle alors qu’il a affaire à une bande de gamins. Et bien sûr, Buscemi qui râle pendant deux minutes comme si on lui avait filé la pire punition du monde : “Why am I Mr. Pink? Why can’t I be Mr. Purple?”
Ce qui est fort, c’est que ça désamorce la tension mais en la nourrissant en sous-main. Parce que derrière la blague, t’as déjà les failles de l’équipe qui se dessinent. L’égo, le refus de l’autorité, les petites rancunes. Tu sens que ces mecs vont pas tenir ensemble très longtemps.
Et ton rôle préféré chez Tarantino ? Uma Thurman y a souvent brillé, mais perso j’aime beaucoup comment il redonne de très beaux rôles à ses idoles. Robert Foster dans Jackie Brown c’est quand même une sacré bonne idée.
Tu tapes dans le mille avec Robert Forster. C’est peut-être la plus belle idée de casting de Tarantino. Max Cherry, c’est pas un “rôle tarantinesque” au sens classique — il parle peu, il frime pas, il flingue personne — mais c’est peut-être son perso le plus émouvant. Et Forster le joue avec une dignité simple, presque pudique.
Cela dit, mon rôle préféré… c’est probablement Pam Grier elle-même dans Jackie Brown. Encore un come-back d’une icône oubliée, et elle crève l’écran. Ce regard fatigué mais déterminé, cette intelligence dans le jeu, cette élégance… Elle porte le film.
Mais si je dois en sortir un plus “iconique”, alors désolé, je dégaine Christoph Waltz dans Inglourious Basterds. Hans Landa, c’est une invention diabolique. Un perso qui parle huit langues, qui peut être charmant ou monstrueux dans la même phrase, et Waltz le joue avec une précision de scalpel. Tarantino lui écrit un rôle en or, et lui le rend brillant.
Mais ouais, ce que tu dis est très juste : Tarantino, c’est peut-être son talent le plus noble, il sait ressusciter les gens.
Tu penses qu’il va vraiment réussir à s’arrêter à dix comme il avait dit ? On est vraiment en train de vivre la fin de carrière désormais ?
J’ai envie de dire : oui, malheureusement. Parce que tout indique qu’il est sérieux. Il a toujours eu cette posture un peu mythologique, de cinéaste qui veut contrôler son “héritage”, sa sortie de scène.
C’est pas juste un caprice de promo. Tarantino se vit comme un personnage de cinéma, et dans sa tête, le dixième film, c’est le dernier acte, le climax. Il veut sa sortie à la Sergio Leone, pas à la Brian De Palma.
Alors oui, je pense qu’on est en plein dedans, dans la fin. Déjà avec Once Upon a Time in Hollywood, y avait un côté chant du cygne, film-testament, balade dans son Hollywood rêvé.
Après, est-ce qu’il va totalement arrêter ? Rien n’est moins sûr. Le cinéma, peut-être. Mais un mec comme lui, il peut pas s’empêcher de créer. Il parlera toujours, il écrira des romans, des séries, des essais. Il a trop d’ego et trop d’énergie pour s’éteindre calmement dans un coin.
Mais la grande œuvre cinéma, celle qui sort au cinéma, avec tambours et trompettes, oui. Je crois qu’on est en train d’assister à son dernier tour de piste.
On termine par tes 3 préférés et ton moins bon Tarantino ?
Mes 3 préférés :
- Jackie Brown – Le plus mature, le plus tendre, le plus doux-amer. Moins hystérique, plus profond. Robert Forster, Pam Grier, la BO, les silences… c’est Tarantino qui arrête de jouer au fanboy pour devenir un vrai cinéaste adulte.
- Pulp Fiction – C’est peut-être trop facile, mais ça reste un coup de génie formel. Aucun film n’a autant influencé le cinéma des années 90, et pourtant il reste inimitable. La narration éclatée, les dialogues, les micro-détails… c’est un monstre.
- Death Proof – Oui, je l’assume. Un faux film d’exploitation, en fait hyper travaillé. Une lettre d’amour au cinéma d’action, à la série B, aux cascadeurs, aux bagnoles et aux filles badass. Et Kurt Russell, glaçant et pathétique. C’est son plus radical, presque son plus personnel.
Et le moins bon :
- The Hateful Eight – C’est long, verbeux pour rien, théâtral dans le mauvais sens. Il veut faire un western paranoïaque à la Carpenter mais oublie de faire monter la tension. Quelques idées (la musique de Morricone, Jennifer Jason Leigh) mais globalement… pénible.
T’en ferais quoi de ton côté ?
- Le Boulevard de la Mort: J’adore le casting, j’adore les dialogues, et j’adore ce jeu de miroir entre les deux parties du film. La séquence finale est absolument jouissive, ainsi que la bande originale, une fois de plus.
- Reservoir Dogs: un souvenir marquant, de par la générosité des dialogues, la brochette d’acteurs tous excellents, et tout particulièrement Tim Roth.
- Jackie Brown: effectivement sous-côté, le film mûrit finalement très bien, et est superbement porté par Robert Forset et Pam Grier.
Côté déception, je pense que je citerai Django Unchained. Certaines scènes de tension sont bien faites, mais j’ai eu beaucoup de mal à accrocher.